Sous-espaces caractéristiques
Définition
Les sous-espaces caractéristiques d'un endomorphisme \( f \) d'un espace vectoriel \( E \) sont des sous-espaces associés à une valeur propre \( \lambda \). Ils permettent de mieux comprendre la structure de \( f \). Pour une valeur propre \( \lambda \), on définit le sous-espace caractéristique \( E_{\lambda} \) comme suit :
\[ E_{\lambda} = \bigcup_{k \geq 1} \ker \left( (f - \lambda I)^k \right) \] où \( k \) est un entier positif tel que \( \ker \left( (f - \lambda I)^k \right) = \ker \left( (f - \lambda I)^{k+1} \right) \).
Propriétés principales
- Stabilité : Chaque sous-espace caractéristique est stable par \( f \).
- Décomposition : L'espace vectoriel \( E \) peut être décomposé comme une somme directe des sous-espaces caractéristiques associés à ses valeurs propres distinctes.
- Diagonalisation : Si \( f \) est diagonalisable, alors \( E_{\lambda} = \ker(f - \lambda I) \), c'est-à-dire que le sous-espace caractéristique coïncide avec l'espace propre.
Théorème
Soit \( f \) un endomorphisme d'un espace vectoriel \( E \) de dimension finie. Si \( \chi_f \), le polynôme caractéristique de \( f \), est scindé sur le corps \( \mathbb{K} \), alors \( E \) est la somme directe des sous-espaces caractéristiques de \( f \).
Exemple
Considérons l'endomorphisme \( f \) représenté par la matrice suivante sur \( \mathbb{R}^3 \) : \[ A = \begin{pmatrix} 2 & 1 & 0 \\ 0 & 2 & 0 \\ 0 & 0 & 3 \end{pmatrix} \] Les valeurs propres de \( A \) sont \( \lambda_1 = 2 \) et \( \lambda_2 = 3 \). Calculons les sous-espaces caractéristiques associés.
Pour \( \lambda_1 = 2 \) : \[ \ker((A - 2I)^2) = \ker \begin{pmatrix} 0 & 1 & 0 \\ 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 \end{pmatrix} = \text{Vect} \left( \begin{pmatrix} 1 \\ 0 \\ 0 \end{pmatrix}, \begin{pmatrix} 0 \\ 0 \\ 1 \end{pmatrix} \right) \]
Pour \( \lambda_2 = 3 \) : \[ \ker((A - 3I)^2) = \ker \begin{pmatrix} -1 & 0 & 0 \\ 0 & -1 & 0 \\ 0 & 0 & 0 \end{pmatrix} = \text{Vect} \left( \begin{pmatrix} 0 \\ 0 \\ 1 \end{pmatrix} \right) \]
Remarque
Les sous-espaces caractéristiques permettent de décrire les propriétés structurelles de \( f \), en particulier dans le cadre de la réduction de Jordan et des applications comme la trigonalisation.
Réduction de Jordan pour les endomorphismes nilpotents
Un endomorphisme \( f \) d’un espace vectoriel \( E \) est dit nilpotent s'il existe un entier \( k \in \mathbb{N}^* \) tel que \( f^k = 0 \), où \( f^k \) désigne la composition de \( f \) avec elle-même \( k \) fois.
Théorème :
Tout endomorphisme nilpotent est semblable à une matrice de Jordan formée uniquement de blocs nilpotents. La taille de chaque bloc correspond à la longueur maximale des chaînes de vecteurs généralisés associées. Ces chaînes sont définies comme suit :
Une chaîne de vecteurs généralisés pour un endomorphisme \( f \) est une suite \( (v, f(v), f^2(v), \ldots, f^{k-1}(v)) \) où \( v \neq 0 \) et \( f^k(v) = 0 \).
Étapes pour construire la réduction de Jordan :
- Déterminer le degré de nilpotence \( k \), c’est-à-dire le plus petit entier tel que \( f^k = 0 \).
- Calculer les noyaux successifs \( \ker(f^i) \) pour \( i = 1, 2, \ldots, k \).
- Organiser les vecteurs généralisés en chaînes pour former les blocs de Jordan.
Exemple : Soit la matrice suivante :
\[ A = \begin{bmatrix} 0 & 1 & 0 \\ 0 & 0 & 1 \\ 0 & 0 & 0 \end{bmatrix} \]Cette matrice est nilpotente car \( A^3 = 0 \). En calculant les noyaux successifs :
- \( \ker(A) = \{0\} \),
- \( \ker(A^2) = \text{Vect}(e_3) \),
- \( \ker(A^3) = \mathbb{R}^3 \).
La matrice est déjà sous forme de Jordan avec un unique bloc nilpotent de taille 3.
Exercice : Trouvez la réduction de Jordan pour la matrice nilpotente suivante :
\[B = \begin{bmatrix} 0 & 2 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 3 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 1 \\ 0 & 0 & 0 & 0 \end{bmatrix} \]Réduction de Jordan pour les endomorphismes avec polynôme caractéristique scindé
Un endomorphisme \( f \) est dit réductible en blocs de Jordan si son polynôme caractéristique \( \chi_f(x) \) est scindé, c’est-à-dire qu’il peut s’écrire sous la forme :
\[ \chi_f(x) = (x - \lambda_1)^{m_1} (x - \lambda_2)^{m_2} \cdots (x - \lambda_r)^{m_r}. \]
Théorème : Si le polynôme caractéristique \( \chi_f(x) \) est scindé, alors \( f \) admet une réduction de Jordan si, et seulement si, pour chaque valeur propre \( \lambda \), la multiplicité algébrique \( m_\lambda \) (dans \( \chi_f(x) \)) est égale à la dimension de l’espace propre généralisé :
\[ \dim \ker((f - \lambda I)^k), \quad \text{avec } k \text{ suffisamment grand.} \]
Étapes pour construire la réduction de Jordan :
- Déterminer les valeurs propres \( \lambda_1, \lambda_2, \ldots, \lambda_r \) à partir de \( \chi_f(x) \).
- Pour chaque \( \lambda \), calculer les espaces propres généralisés \( \ker((f - \lambda I)^i) \) pour \( i = 1, 2, \ldots \).
- Organiser les vecteurs généralisés en chaînes de Jordan.
Exemple : Soit la matrice suivante :
\[ C = \begin{bmatrix} 3 & 1 & 0 \\ 0 & 3 & 1 \\ 0 & 0 & 3 \end{bmatrix} \]Le polynôme caractéristique est \( (x - 3)^3 \). La matrice est déjà sous forme de Jordan avec un unique bloc associé à \( \lambda = 3 \).
Exercice : Déterminez la matrice de Jordan pour une matrice ayant le polynôme caractéristique suivant :
\[ \chi(x) = (x - 2)^2 (x - 4). \]
Décomposition de Dunford
La décomposition de Dunford est une généralisation de la décomposition de Jordan. Elle consiste à séparer un endomorphisme \( f \) en deux composantes principales :
\[ f = f_s + f_n, \]
où :
- \( f_s \) est un endomorphisme semi-simple (ou diagonalisable sur le corps de base).
- \( f_n \) est un endomorphisme nilpotent (tel que \( f_n^k = 0 \) pour un entier \( k \)).
Ces deux composantes \( f_s \) et \( f_n \) satisfont la condition fondamentale :
\[ f_s f_n = f_n f_s. \]
Cette décomposition est unique et permet d'étudier la structure des endomorphismes dans des espaces vectoriels de dimension finie.
Étapes pour obtenir la décomposition de Dunford
- Calculer le polynôme minimal \( \mu_f(x) \) de l’endomorphisme \( f \). Ce polynôme est scindé en facteurs premiers distincts : \[ \mu_f(x) = (x - \lambda_1)^{k_1} (x - \lambda_2)^{k_2} \cdots (x - \lambda_r)^{k_r}. \]
- Déterminer \( f_s \), la partie semi-simple de \( f \), en construisant une matrice diagonale ou une somme de projections correspondant aux valeurs propres de \( f \).
- Calculer \( f_n \) comme étant la différence : \[ f_n = f - f_s. \]
Théorème de Dunford
Énoncé : Tout endomorphisme \( f \) d’un espace vectoriel de dimension finie \( E \) sur un corps \( K \) peut être écrit comme la somme :
\[ f = f_s + f_n, \]
où \( f_s \) est semi-simple, \( f_n \) est nilpotent, et \( f_s \) commute avec \( f_n \). La décomposition est unique.
Exemple
Soit l’endomorphisme \( f \) représenté par la matrice suivante :
\[A = \begin{bmatrix} 3 & 1 & 0 \\ 0 & 3 & 1 \\ 0 & 0 & 3 \end{bmatrix}. \]Étape 1 : Le polynôme caractéristique est \( \chi_A(x) = (x - 3)^3 \). Le polynôme minimal est \( \mu_A(x) = (x - 3)^3 \), donc \( A \) est trigonal et non diagonalisable.
Étape 2 : La partie semi-simple \( A_s \) est obtenue en remplaçant tous les termes non-diagonaux par zéro :
\[A_s = \begin{bmatrix} 3 & 0 & 0 \\ 0 & 3 & 0 \\ 0 & 0 & 3 \end{bmatrix}. \]Étape 3 : La partie nilpotente \( A_n \) est donnée par :
\[ A_n = A - A_s = \begin{bmatrix} 0 & 1 & 0 \\ 0 & 0 & 1 \\ 0 & 0 & 0 \end{bmatrix}. \]
Ainsi, \( A = A_s + A_n \), et \( A_n^3 = 0 \), vérifiant que \( A_n \) est nilpotente.
Remarque
La décomposition de Dunford est utile pour simplifier les calculs avec des endomorphismes, notamment pour :
- Calculer les puissances d’une matrice \( A^n \) en utilisant \( A_s \) et \( A_n \) séparément.
- Étudier les propriétés spectrales et géométriques d’un endomorphisme.
Exercice
Trouvez la décomposition de Dunford pour la matrice suivante :
\[B = \begin{bmatrix} 2 & 1 & 0 \\ 0 & 2 & 1 \\ 0 & 0 & 2 \end{bmatrix}. \]Vérifiez que \( B_s \) est semi-simple et \( B_n \) est nilpotente.
Applications de la décomposition de Jordan
La décomposition de Jordan, qui exprime une matrice comme étant semblable à une matrice en blocs de Jordan, trouve de nombreuses applications pratiques et théoriques en mathématiques et en physique. Voici quelques applications principales :
Calcul des puissances de matrices
Lorsque la matrice \( A \) est réduite en une forme de Jordan \( J \) telle que \( A = PJP^{-1} \), on peut calculer les puissances de \( A \) efficacement grâce à la relation :
\[ A^n = P J^n P^{-1}. \]
Les puissances de \( J \) sont faciles à calculer, car chaque bloc de Jordan \( J_k \) (associé à une valeur propre \( \lambda \)) a une structure simple :
\[ J_k^n = \begin{bmatrix} \lambda & 1 & 0 & \cdots & 0 \\ 0 & \lambda & 1 & \cdots & 0 \\ \vdots & \vdots & \ddots & \ddots & \vdots \\ 0 & 0 & \cdots & \lambda & 1 \\ 0 & 0 & \cdots & 0 & \lambda \end{bmatrix}^n. \]
Cette structure permet de calculer chaque terme en fonction des coefficients binomiaux et des puissances de \( \lambda \).
Exemple : Soit \( A \) une matrice ayant la forme de Jordan suivante :
\[J = \begin{bmatrix} 2 & 1 & 0 \\ 0 & 2 & 0 \\ 0 & 0 & 3 \end{bmatrix}. \]La matrice \( J^n \) s'écrit :
\[ J^n = \begin{bmatrix} 2^n & n \cdot 2^{n-1} & 0 \\ 0 & 2^n & 0 \\ 0 & 0 & 3^n \end{bmatrix}. \]
Calcul de l'exponentielle de matrices
La décomposition de Jordan est particulièrement utile pour calculer l'exponentielle d'une matrice \( A \), définie par :
\[ e^A = \sum_{k=0}^\infty \frac{A^k}{k!}. \]
En utilisant la réduction \( A = PJP^{-1} \), on obtient :
\[ e^A = P e^J P^{-1}, \]
où \( e^J \) est calculé facilement, car chaque bloc de Jordan \( J_k \) a une exponentielle donnée par :
\[ e^{J_k} = \begin{bmatrix} e^\lambda & e^\lambda t & \frac{e^\lambda t^2}{2!} & \cdots \\ 0 & e^\lambda & e^\lambda t & \cdots \\ \vdots & \vdots & \ddots & \ddots \\ 0 & 0 & \cdots & e^\lambda \end{bmatrix}, \]
où \( \lambda \) est la valeur propre associée.
Exemple : Trouver \( e^A \) pour la matrice suivante :
\[A = \begin{bmatrix} 2 & 1 \\ 0 & 2 \end{bmatrix}. \]La matrice est déjà sous forme de Jordan avec \( \lambda = 2 \). On obtient :
\[ e^A = \begin{bmatrix} e^2 & e^2 \\ 0 & e^2 \end{bmatrix}. \]
Résolution d'équations différentielles linéaires
La décomposition de Jordan est utile pour résoudre des systèmes d'équations différentielles linéaires de la forme :
\[ \frac{d\mathbf{x}}{dt} = A\mathbf{x}, \]
où \( A \) est une matrice carrée et \( \mathbf{x}(t) \) est un vecteur fonction. En utilisant \( A = PJP^{-1} \), la solution générale s'écrit :
\[ \mathbf{x}(t) = P e^{Jt} P^{-1} \mathbf{x}(0). \]
Exemple : Considérons le système :
\[ \frac{d\mathbf{x}}{dt} = \begin{bmatrix} 1 & 1 \\ 0 & 1 \end{bmatrix} \mathbf{x}. \]
La solution s'écrit :
\[ \mathbf{x}(t) = e^t \begin{bmatrix} 1 & t \\ 0 & 1 \end{bmatrix} \mathbf{x}(0). \]
Étude des comportements asymptotiques
La forme de Jordan permet d’analyser les comportements asymptotiques des puissances \( A^n \) ou des exponentielles \( e^{tA} \). Par exemple :
- Si la valeur propre dominante \( \lambda_{\text{max}} \) de \( A \) est unique, alors \( A^n \) est asymptotiquement équivalente à \( \lambda_{\text{max}}^n \mathbf{v}\mathbf{w}^T \), où \( \mathbf{v} \) et \( \mathbf{w} \) sont les vecteurs propres associés.
- Les contributions des blocs nilpotents disparaissent asymptotiquement lorsque \( t \to \infty \).
Exercices
- Calculez \( A^5 \) pour la matrice : \[ A = \begin{bmatrix} 2 & 1 & 0 \\ 0 & 2 & 1 \\ 0 & 0 & 2 \end{bmatrix}. \]
- Trouvez l'exponentielle \( e^A \) pour la matrice donnée dans l'exemple précédent.
- Résolvez le système différentiel : \[ \frac{d\mathbf{x}}{dt} = \begin{bmatrix} 0 & 1 \\ -1 & 0 \end{bmatrix} \mathbf{x}. \]
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